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7 janvier 2012 6 07 /01 /janvier /2012 16:42

Contrat-MGM-exemple-de-block-booking.jpgPour ceux qui s'inquiètent du sort de la petite exploitation et de la diversité du cinéma en raison de l'arrivée du numérique, je me permet d'apporter quelques précisions qui démontrent qu'il n'y a pas grand chose de nouveau qui se profile à l'horizon. J'ai commencé à programmer bénévolement uN cinéma dans le début des années soixante-dix dans le nord de la France. En ce temps là, il y avait une bonne douzaine de distributeurs qui tenaient une agence à Lille : Gaumont, Artistes associés, Fox, CIC (MGM, Parmount, Universal), Paris Nord distribution (AMLF, Walt Disney, Warner, Columbia, et d'autres), Dentener, Delemar, etc. Il existait alors deux pratiques qui n'étaient pas franchement des cadeaux pour les petits exploitants.

 

Contrat de la MGM, exemple de block booking

  •  

1. Le block booking

 

Pour obtenir un film porteur, il fallait accepter d'autres films plus ou moins intéressants dans le même contrat. Par exemple, chez Dentener, pour obtenir "Le gendarme et les gendarmettes", il fallait accepter "La prof du bahut", "La folle du régiment" et autres inepties. Chez Paris Nord distribution on ne s'en sortait pas avec moins de dix films pour obtenir le Disney de Noël, qu'on nous donnait à Pâques, ou le dernier succès de Columbia, AMLF ou Warner.

 

  1. Les priorités d'accès

 

Les films étaient projetés en priorité à Lille, pis à Armentières et Hazebrouck avant d'arriver à Merville. Si cette hiérarchie pouvait être compréhensible lorsqu'un distributeur confiait une copie au cinéma qui faisait le plus d'entrées, ça l'était beaucoup moins lorsque celle-ci restait sur les étagères du stock parce que l'exploitant prioritaire ne l'avait pas encore passée. Il m'a fallu ainsi attendre un an pour programmer une palme d'or du festival de Cannes chez Gaumont. Lors de la sortie de ROCKY, le distributeur me l'avait confié avant le passage à Hazebrouck. Le film de Sylvester Stallone était considéré au départ comme une œuvre mineure et Sylvère Derquenne, l'exploitant d'Hazebrouck n'était pas pressé de le programmer. Derquenne, pas content, téléphona aux Artistes Associés : "Qu'est-ce que c'est ce film ? Pourquoi Merville le passe avant moi ?" Et en plus, le film a eu un succès inattendu. Quelques jours plus tard, je rencontrai Sylvère Derquenne et je lui parlai du problème des priorités. Il me répondit que ce n'était pas gênant que je passe un film avant lui, que c'était une volonté des distributeurs. Il ignorait que j'étais au courant de son appel aux Artistes. Il y avait même dans le sud du département, un exploitant qui acheminait chaque semaine les copies d'un collègue qui exigeait en douce la priorité sur lui. Les distributeurs avaient le dos large.                         

Fiche-distributeur-du-Familia-de-Merville.jpg

 

Fiche d'un distributeur qui indique,

 entouré en rouge, les villes

 prioritaires sur Merville. 

 

  

Ces exemples montrent bien que les problèmes d'accès aux films ne datent pas d'hier et ça ne peut pas être pire que ça n'a été.

En ce qui concerne la diversité, je peux affirmer que la France est actuellement le pays au monde où ce critère est le mieux appliqué (une fois n'est pas coutume). Un réseau dense de cinémas comprenant de nombreuses petites exploitations, un encouragement constant à la programmation Art et Essai, les aides aux petites salles sont les clés de ce succès. L'Etat qui avait permis au début des années quatre-vingt, grâce à l'aide sélective, aux petites salles de se rénover et de s'équiper, continue son soutien pour le financement du numérique, secondé cette fois-ci par les régions. Au niveau de la programmation, l'Association Française des Cinémas Art et Essai, reconnue comme partenaire privilégiée du Centre National du Cinéma et secondée par des associations régionales, travaille efficacement à la diversité des œuvres cinématographiques.

 

Malgré cela il faut reconnaître que les petites exploitations rencontrent de nombreuses difficultés. Elles sont à l'exploitation cinématographique ce que les mouettes sont aux bateaux de pêcheurs. Elles doivent se contenter de ce que leur laissent les gros. Elle sont aussi souvent soumises par certains distributeurs, qui bafouent sans scrupules la règle de la location au pourcentage, à payer des minimums garantis en plus du pourcentage. Contrairement à ce que nous pourrions penser, ce ne sont pas les grandes maisons de distributions qui pratiquent ce racket, mais des petits distributeurs qui disent avoir du mal à supporter les frais de sorties de leurs copies qu'ils préfèrent laisser sur leurs étagères. Il refusent même en se couvrant avec le minimum garanti, d'accorder à l'exploitant qui a aussi des frais "d'entrée", une baisse du pourcentage. Comme quoi, ce sont les miséreux qui exploitent plus les plus misérables qu'eux. Pendant ce temps, la grosse exploitation a réussi le tour de force de faire payer aux distributeurs, les projections des bandes annonces que les petits ont du mal à obtenir en les passant gratuitement. Penser à se faire des bénéfices en diffusant la publicité des films qu'ils programment et qui leur rapporteront, il fallait le faire.

 

Une autre difficulté de la petite exploitation est due à son hétérogénéité. Il y a des privés, des associations non subventionnées, des municipalités, des associations subventionnées. Les enjeux ne sont pas les mêmes pour les uns et les autres. Les privés doivent supporter les charges d'investissements et les intérêts d'emprunts. Leur appliquer des minimums garantis c'est les fragiliser encore plus. Ces cinémas peuvent difficilement se permettre de jouer la carte de la diversité. Les municipalités et les associations qui obtiennent des subventions de cent mille ou deux cent mille euros, voire plus, ne se formalisent pas avec ces "détails". La petite exploitation comprend des salles qui font parfois moins de dix mille entrées par an et d'autres qui en font trois cent milles. Ces petits cinémas ne peuvent pas compter sur les instances professionnelles. Les syndicats, pour la plupart régionaux, existeraient difficilement sans l'apport des cotisations de la grande exploitation. Certains gros exploitants ont déjà formé leurs propres syndicats et récupèrent ainsi une part de leurs cotisations. Ils concèdent souvent quelques salles au syndicat régional pour y rester implantés. Quant à la fédération, il suffit de voir avec quelle facilité elle a accepté la modification de la chronologie des médias qui est passée de six à quatre mois pour se rendre compte que la petite exploitation n'entre pas dans ses priorités.

 Mais alors le numérique dans tout ça ?

 Il apportera certainement des avantages, mais aussi des inconvénients.

 Projecteur-numerique-recemment-installe-dans-une-cabine.jpg

Projecteur numérique récemment installé dans une cabine de projection.

 

 

Au niveau des avantages, le mode de programmation sera différent. L'exploitant n'aura plus à rendre la copie dans la nuit du mardi au mercredi. Il pourra conserver le film dans sa librairie et le programmer sur une durée plus longue. Les films seront donc exposés plus longtemps. Il suffira de demander une clé au distributeur qui ne rechignera jamais à ce qu'on projette son film. Il sera possible de programmer le même film en français ou en version originale en alternance.  Il en sera de même pour la 3D. Les cinémas auront accès à d'autres programmes : opéras, évènements sportifs, concerts, etc. Il sera possible également de prévoir en première partie des actualités locales en lien avec les mairies et les associations. Certains pourront peut-être réaliser des productions locales qui seront projetées dans le cinéma de leur ville. Et pourquoi pas aussi les collectionneurs pour les œuvres dont les droits sont libres ? De nouvelles dimensions culturelles pourront aussi se développer. Je pense par exemple à une certaine "Maison du cinéma" qui est en gestation depuis plusieurs années à Roubaix. 

Cabine-du-cinema-de-Bailleu-en-cours-de-renovati-copie-1.jpg

La cabine de projection du cinéma de Bailleul

en cours de rénovation en prévision de l'arrivée du numérique.

Le projecteur 35 mm, Victoria 8, restera a sa place

pour pouvoir assurer les projections des films non édités en numérique.

 

 

Pour ce qui est des inconvénients, le plus probant c'est que le numérique, c'est de l'informatique. Et l'informatique... c'est l'informatique. L'exploitant aura des frais de maintenance, comme cela s'est produit pour les caisses. Avec un 35 mm, un bon projectionniste peut se débrouiller pour résoudre la majorité des pannes. Avec le numérique, ou il devra passer par le service de maintenance s'il s'agit d'une panne de logiciel, ou il devra rembourser si c'est un problème matériel. Comme chacun sait, l'informatique ça nous importune toujours quand il ne faut pas et ce sera à une séance de " intouchables" et non de "Brueghel" que se produira la panne. Ceux qui pensent qu'il y aura moins de travail du fait qu'il n'y aura plus de copies à assembler se leurrent complètement. Les projecteurs numériques nécessitent plus souvent des séances de réglages. Ils nous donneront la joie des bugs et des conversations téléphoniques qui n'en finiront pas avec les services de maintenance. Quant à ceux qui chargeront le film pendant le déjeuner se se disant que ce sera prêt pour la séance de 14h, je leur promets de sérieux déboires.

 Et le spectateur ? En principe il ne verra pas la différence, sauf que les rayures seront remplacées par des pixellisations comme le constatent régulièrement ceux qui ont la TNT.

 

Un Charlin, autrefois utilisé dans la cabine

 du cinéma de Thumeries.

Projecteur-Charlin-au-cinema-de-Thumeries-jpg Le cinéma numérique apportera dans l'exploitation ce que l'ordinateur a apporté dans notre vie quotidienne, pour le pire et pour le meilleur. On peut apprécier ou pas, mais de toute façon, la machine numérique est lancée de manière irréversible, et les cinémas qui ne seront pas équipés pour janvier 2013 n'auront plus qu'à demander des films à prêter aux collectionneurs.

 La diversité et le maintien de la petite exploitation est avant tout une question de volonté politique. Si les pouvoirs publics restent déterminés à les soutenir, si le Centre National du Cinéma continue à exercer sa mission dans les mêmes conditions, si les associations qui soutiennent la diversité des programmes cinématographiques sont toujours reconnues, le numérique n'y changera rien. D'ailleurs, il y a une règle bien établie en sciences humaines : Ce ne sont pas les moyens qui priment, mais les objectifs et les finalités.

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